Interview de Joëlle Delhovren par Doc Mac (Revue Art Scènes - Puls'Art 2008)

 

Présente sur Puls’Art 2008 nous avons eu le bonheur de découvrir Joëlle Delhovren. Une œuvre humaniste, forte, sensible qui n’a laissé personne indifférent. L’œuvre de Joëlle Delhovren est une écriture particulière, un voyage en profondeur vers l’autre qui pourrait très bien être vous ou moi, une œuvre qui va aussi à l’essentiel sans complaisance, à la fois riche et dépouillée, une mise à nu de l’individu qui force l’admiration. Ajoutons à cela une maîtrise picturale de très haut niveau et à y regarder de plus près parfois une
touche d’humour et de tendresse ... Tous ces petits détails symbolisent l’âme de l’artiste. Il était donc normal de prendre le temps de cette interview, histoire de vous faire mieux connaître Joëlle Delhovren et son œuvre.


Doc Mac : Résumer le travail de Joëlle à sa peinture serait trop réducteur, il y a aussi ses carnets, mélange d’images, dessins et mots d’auteurs ; considères tu ces carnets comme le prolongement de ton œuvre picturale ou comme un complément, une ouverture au dialogue?


Joëlle Delhovren : J'ai débuté ce travail par carnets parallèlement à ma peinture, c'était une façon de la nourrir si on veut. Dans un premier temps je me suis mise à les exposer avec elle, ce qui a amorcé une confrontation, un dialogue entre carnets renvoyant aux peintures et ainsi de suite. Je pense que la plus grande partie du travail du peintre se passe dans sa tête, pas dans sa main. Ces carnets ont chacun leur thématique et me permettent de développer des réflexions de page en page en mêlant toutes sortes de points de vue. Ce sont les visions que j'ai du monde et cette façon de travailler m'apporte le recul nécessaire à l'élaboration de mes peintures.


Doc Mac : L’humain qui est au centre de tes créations s’est-il imposé à toi dès tes débuts?


Joëlle Delhovren : Oui complètement, il n'y a que ça qui m'importe dans la vie comme en peinture. Ca peut paraître paradoxal au vu de ma façon de travailler très solitaire. L'humain a toujours été mon sujet, depuis que je me suis mise à dessiner vers 3 ou 4 ans, jusqu'à m'amener plus tard à la peinture.


Doc Mac : Ta source d’inspiration semble venir naturellement du quotidien pour une bonne partie de tes œuvres, comment trouves tu tes sujets?


Joëlle Delhovren : Il n'y a qu'à ouvrir les yeux chaque matin pour se rendre compte que rien n'est anodin, personne n'est banal. Le quotidien c'est la vraie vie, tout se trouve là.


Doc Mac : Le portrait est la forme de langage la plus utilisée dans tes créations, choses surprenante la relation avec un type de « Cadrage » souvent utilisé en photo ce qui donne une forme de théâtralité à tes peintures. Y-a t’il pour toi une relation directe entre photographie et peinture?


Joëlle Delhovren : Dire "portrait" c'est une façon de classifier, pour moi ça reste des peintures - d'où les nombreuses toiles "sans-titre". J'ose espérer que ces visages fonctionnent pour eux-mêmes, sans référence identitaire et au-delà de la "ressemblance". Le côté "théâtral" est quelque chose qui m'échappe, ce n'est pas une volonté de ma part, je ne peux pas l'expliquer. J'ai toujours peint les gens parce que c'est ça qui m'intéresse. Et un regard n'étant jamais objectif, ce qu'il y a "autours" n'avait pas d'intérêt pour moi, d'où le "cadrage". La photo me permet de fixer quelque chose de souvent très fugitif. C'est impossible avec le modèle "vivant" qui avouons-le, au bout d'un moment a surtout l'air de s'ennuyer. Ce n'est pas une question de difficulté/facilité, c'est le propos qui est différent. Grâce à la photo il y a un tout autre rapport: le temporel. Alors oui la photo existe, je m'en ert. Je me l'approprie bien mieux qu'une personne présente. Silence, concentration et solitude une bonne dizaine d'heure par jour... Ca se passe entre moi et moi. Alors la photo ça aide bien sûr.

Doc Mac : Tes œuvres les plus récentes sont un assemblage de sujets, prenons par exemple « Toys » ou « Un monde sans gravité » on assiste à une mise en scène particulière, qu’est-ce qui t’a poussé à travailler dans ce sens?


Joëlle Delhovren : - "Un monde sans gravité" c'est aussi le nom d'un carnet et de toute la série de toiles qui en découlent. Un titre en forme de clin d'oeil à "l'homme sans qualité' de Robert Musil. C'est une réflexion sur notre époque, ses valeurs, ses priorités, ses degrés de légèreté,... Les titres proposent une lecture, mais chacun voit ce qu'il veut. Moi je ne fais que me questionner sur ce que je vois, j'observe les petites horreurs anodines du quotidien.

Doc Mac : L’utilisation de la toile brute a t’elle une signification particulière pour toi?


Joëlle Delhovren : - On ne peut pas parler en terme de signification... Il y a une grande part de plaisir à travailler contre la résistance d'une toile écrue. Mes toiles sont encollées à la caséïne ou la peau de lapin que je prépare sans charge de blanc ou autre, ce qui ne "bouche" pas la trame. Et puis, on ne se demande jamais ce que le blanc signifie. Or il n'est pas neutre. Pour moi, en peinture, moins il y en a mieux c'est. La toile "brute" m'apporte un support sans couleur, sur lequel toutes celles que je viendrai ajouter prendront toute leur place, y compris les zones "non peintes".


Doc Mac : Ayant eu l’occasion de voir un bon nombre de tes œuvres, une chose m’a marqué et je ne résiste pas au plaisir de te poser cette question. Le regard de tes personnages semblent avoir une importance considérable dans tes portraits, regards interrogateurs, yeux fermés, yeux rieurs, etc ... En fait l’ensemble de la composition de tes tableaux semble nous offrir plusieurs niveaux de lecture. L’un par le fond brut de tes toiles, l’autre par le choix des couleurs et la maîtrise de la matière et enfin, le regard. Peux tu nous révéler quelques unes de tes pensées sur le sujet ?


Joëlle Delhovren : - Le but n'est jamais que tout soit tout de suite compris, c'est ça qui donne sa saveur à la peinture. Quand tous les éléments se répondent, se renvoient les uns aux autres, ils se renforcent ou se mettent en abîme et créent une tension. Moi même je ne sais pas tout ce que je fais, et je crois que ce sont mes meilleurs travaux. Il y a quelque chose là dedans qui m'échappe et c'est sans doute parce que la peinture autant que l'humain gardent encore leurs mystères pour moi et continuent de me fasciner. Je n'ai pas de recette, chaque toile est une nouvelle discussion, et les questions qu'on se pose en les regardant sont sans doute celles que je me pose en les peignant. Si un jour je me mets à tout maîtriser je crois que je m'ennuierai, et le spectateur aussi.


Doc Mac : Merci de nous avoir accordé un peu de ton temps pour nous répondre.