Philippe
Agéa (Exporevue)
De la fragilité
du PATRIMOINE (2010)
La vision de Joëlle
Delhovren est l'inverse absolu de l'instantané : elle voit le temps,
la durée, l'être dans sa dimension temporelle dans toutes
les étapes de sa vie, ses moments clés, plaisirs et souffrances,
tout ce tissu d'interaction entre le passé et le présent,
ce qui persiste des souvenirs, l'écheveau des liens et des filiations
familiales ou affective, les vanités, la quatrième dimension
en quelque sorte.
Elle le montrait doublement dans des scénettes basées sur
des photographies anciennes sans être des arrêts sur image,
des instantanés narratifs mais des états d'âmes d'autrefois,
des "flashback" intemporels, de par leur contenu et leur apparence
plastique.
Après avoir montré la douleur, l'usure de la vie, les maux
de la chair et de la nature humaine, les jours qui s'envolent, les sentiments
qui s'expriment, l'horizon d'une vision plus globale lui est apparu et
avec elle la nécessité de l'exprimer dans ces peintures
: la légèreté.
De tout ce qui est pesant, la matière corporelle et les scarifications
du passé, la blessure du vécu, elle l'a couché sur
ses toiles pour s'apercevoir qu'il restait autre chose par delà
cette épaisseur silencieuse.
Sa pratique picturale singulière et les événements
de sa propre vie lui on fait découvrir qu'après la lourdeur
des choses, les peurs, la pression de la responsabilité, "l'extrême
légèreté de l'être" était effectivement
une réalité éthérée de la vie sans
poids et sans substance, bien plus puissante que les déboires de
nos années écoulées. Cette toile d'araignée
silencieuse liant de l'humanité et de son histoire laisse l'anecdotique
souffrance en décalage de l'essentiel, sans nier l'expérience,
le deuil, la perte, la pathologie, la folie ordinaire.
Elle regarde aujourd'hui l'essentiel de l'existence, ce qui reste quand
on a tout oublié, la fugacité des choses, la fragilité
du vivre dans toute sa durée et elle l'exprime avec la plus grande
simplicité tout en contenant une sorte d'absolu : l'enfant qui
fait des bulles ou qui tient les fils d'invisibles marionnettes, de simples
mains qui "pensent" et qui sont toute la transcendance du genre
humain, les racines de toutes les générations au travers
des siècles montrées par des mollets et pieds d'enfants
qui s'éloignent en marchant comme seul des "bambins"
peuvent le faire, toute une culture, un univers, mais aussi toute l'expression
du devenir, le futur au delà du réel…
L'enfant s'émerveille d'un rien, donc de tout, car le passé
comme le futur ne le concerne pas, et il traverse l'espace avec la légèreté
du papillon.
Joëlle quitte le temps, l'espace n'existe pas, pour l'immanence et
toute ses promesses de sérénité.
Philippe Agéa
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